Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

2013-04-24T11:29:49+02:00

Embrassez qui vous voudrez...

Publié par Didi

⁃ J’ai un problème madame.

⁃ Oui Y., je t’écoute (à peine quelques jours après la rentrée, cet élève m’avait demandé de le recevoir, j’avais longuement discuté avec lui à l’internat le premier soir. Il était assez mal dans sa peau, il rêvait d’être une star de la télévision, c’était sa première année en internat).

Y. avait donc choisi de me faire part de son « problème »:

⁃ Chez moi, ils ne m’aiment pas trop, je suis particulier.

⁃ Particulier ?

⁃ Oui, j’ai vécu chez ma mère qui m’a renvoyé chez mon père et mon père m’a renvoyé chez ma mère mais ma mère m’a dit de toute façon, elle ne voulait pas de moi, il n’y avait pas de place avec mes frères et sœurs, alors du coup ben l’internat c’était pas mal, comme ça, je rentre chez moi que le week-end.

⁃ …

⁃ De toute façon, j’ai un problème.

⁃ Je t’écoute. (j’avais dû déjà perdre deux litres d’eau…)

⁃ J’aime les garçons madame.



⁃ Oui madame, j’aime les garçons.

⁃ Je ne vois pas de problème moi.

⁃ …

⁃ (sourire)

⁃ Ben… on m’a déjà dit que c’était un problème madame, mes parents, ils ne sont pas très contents, et puis, je sais bien, je ne suis pas normal.

Là, je suis obligée de faire court, d’une part parce que ma mémoire flanche, d’autre part, parce que cet entretien a duré fort longtemps, j’ai beaucoup pesé mes mots, sans doute beaucoup repris de choses dans ce genre-là :

Puis nous avons continué, échangé sur son « problème », plus exactement sur son orientation sexuelle que certains trouvaient anormale, en tous cas, pas très normale.

Y. ne criait pas sur les toits ses préférences amoureuses, d’autres s’en sont chargés à sa place. Des adultes sont même venus me trouver pour me demander si il n’y aurait pas de problème à l’internat. Des élèves sont venus également, ils avaient peur de ce que pouvait peut-être faire Y. Pendant l’année, Y. est tombé amoureux d’un garçon de l’internat, qui lui même n’éprouvait pas d’attirance envers les garçons. Il a été très déçu, il a beaucoup pleuré. A un moment de l’année, plus personne n’a parlé de son homosexualité, Y. faisait partie de l’établissement, plus personne n’avait peur de lui et plus personne n’avait de « problème ».

Quelques années plus tard, arrivée depuis trois jours dans un nouvel établissement, j’étais en charge de certaines classes dans le suivi individuel (je reprenais sans broncher l’organisation qui avait prévalu avant mon arrivée). Des enseignant-es viennent me voir dans mon bureau, me rencontrer à propos des élèves, comme je leur en avais soumis la proposition lors de la pré-rentrée. Nous discutons des élèves qu’ils et elles connaissent. Une enseignante me parle d’A.-L. :

⁃ Tu sais, il faudra que tu la surveilles bien, c’est une provocatrice.

⁃ Ah…

⁃ Oui, elle provoque tellement, tu te rends compte, elles s’embrassaient au milieu de la cour avec une fille l’année dernière, juste pour nous provoquer, comme par défi envers nous.

⁃ Peut-être qu’elles avaient juste envie de s’embrasser, tout simplement. Les couples ne s’embrassent pas dans ce lycée ? Quand les couples s’embrassent avec trop de passion devant tout le monde, je suppose que les adultes leur signifient qu’ils peuvent aller dans des lieux plus éloignés, que tout le monde n’est pas obligé de s’embrasser au milieu de la cour.

⁃ Oui, oui, mais les autres couples tu comprends… et puis, A.-L. le fait que pour nous provoquer…

Quelques jours plus tard, il n’a pas fallu longtemps, j’ai convoqué cette élève qui avait tendance à oublier d’arriver à l’heure en classe. Elle est arrivée renfrognée, les yeux pleins de défi, avec surtout une attitude qui n’engageait pas à l’échange serein. Mais elle est quand même là, dans mon bureau, sur une chaise, à l’heure de la convocation. Elle aurait aussi pu ne pas se déplacer et attendre que je vienne la chercher en classe comme certain-es le font parfois.

Je lui signifie donc ses retards, lui demande des explications. Elle dit qu’elle s’en fout, « de toute façon, vous ne pensez qu’à ça, nous engueuler, et puis j’en ai marre, tout le monde dans ce lycée me prend la tête et puis de toute façon je sais bien ce que vous pensez ». » Je lui réponds qu’effectivement, il y a des moments où je les engueule (cinq retards en deux jours, je ne vais pas lui offrir des fleurs) mais que je ne vois pas comment je pourrais penser quelque chose sur elle puisque c’est la première fois que je la vois. J’ai peur de comprendre ce qu’elle veut dire.

⁃ Eh bien de toute façon, je suppose que vous savez, tout le monde me dit que j’ai un problème, alors je suppose que vous pensez que de toute façon…

⁃ C’est toi qui parles d’un problème, pas moi…

⁃ Ben vous savez que j’aime les filles non ?

⁃ Maintenant je sais, oui. Mais, cela n’a pas d’importance, tu fais ce que tu veux, tu aimes qui tu veux…

⁃ Alors, ça c’est la meilleure, vous ne pensez pas que ce soit un problème ?

⁃ Non. Je pense que c’est ta vie, pas un problème. Après, si tu veux qu’on parle de toi…

Alors elle a parlé de ces regards jugeants qui l’ont poussée à s’affirmer ouvertement plus qu’elle ne l’aurait voulu. Elle avait juste envie de pouvoir vivre ses désirs paisiblement. Elle avait émis l’idée d’amener une de ses amoureuses à la maison, et depuis, l’ambiance était plus que tendue. Elle avait voulu profiter de son amoureuse au lycée, le seul endroit qu’elle pensait peut-être un peu protégé et finalement, elle avait vu que l’intérieur était presque aussi peu protecteur.

C’était il y a quasiment dix ans.

La même année, A.-L. a fait une fugue, a voulu abandonner, a continué à être en retard, s’est retrouvée de nombreuses fois en face de moi, en pleurs, heureuse parfois, en colère toujours.

L’année suivante, son baccalauréat en poche, elle est revenue à la vie scolaire nous parler d’elle, de la fac, de sa nouvelle copine. Quand je lui ai demandé comment cela allait, elle est devenue toute rouge, elle a dit que sa copine était « spéciale ». Evidemment, le mot « spéciale », comme celui de problème, nécessitait un petit entretien… Il s’avérait que sa copine était séropositive. A.-L. était venue ce jour là pour qu’on parle « vite fait » mais elle a également entendu une petite leçon sur les moyens de se protéger des MST… On ne se refait pas, CPE un jour, CPE toujours…

Il y a eu Y., A.-L., puis aussi G., A., E., J., B., R., G., M. ….et d’autres encore.

⁃ C’est impossible d’en parler à la maison, quand il y a une émission sur les homos, mon père dit qu’ils ne sont pas normaux

⁃ Si j’en parle, mon père me fout dehors, du coup, comme je ne ramène jamais de gars, mes parents, ils doivent bien se douter de quelque chose mais en même temps, si je ramène une fille, ils vont faire une crise cardiaque

⁃ Ben moi, je trouve que c’est dur, j’assume devant tout le monde, mais c’est dur

⁃ De toute façon, j’ai bien cru que ça allait passer, j’ai essayé avec les garçons, mais franchement… ça n’a pas été une réussite !

⁃ Ben en fait, je voudrais vous dire un truc, je sais pas si je peux mais en fait, si… bref, vous savez quoi…

En fait, si tu peux, si tu en as envie, si tu en as besoin pour aller mieux.
Tu n’es pas obligé-e non plus, tu peux juste te dire que la porte est ouverte, qu’ici, on t’écoutera, sans juger, tout simplement parce que c’est … notre boulot… d'écouter et aussi tous les jours de lever le nez et d’agir quand un «sale pédé» ou un «sale lesbienne» s’entend dans les couloirs, la cour, une salle de classe, une vie scolaire.

Echos de Vie Scolaire

L'Assemblée Nationale, hier, a adopté la loi qui autorise le mariage entre deux personnes du même sexe, après des mois de contestations et manifestations.

Il était temps !

Mais ça ne veut pas dire que les choses vont changer fondamentalement... "Pédé" sera toujours une insulte, le regard s'arrêtera toujours sur deux femmes qui se tiennent par la main, ou de hommes qui s'embrassent...

On a un ados à l'ITEP qui est homosexuel. Il en joue... Il provoque, il agace.

"Vas y sale pédé casse toi"...

Il entend sa à longueur de journée.

Ça questionne, ça travaille nos ados... parce que finalement, ça fait peur l'inconnu.

Pourquoi on apprend pas ça à l'école ? On apprend les différentes politiques, les différentes religions, pourquoi pas les différentes sexualité...?

En parler ne rendra pas nos enfants "anormaux", parce que non, ce n'est pas tendance d'être "gay".

"Et alors en plus ils vont pouvoir avoir des enfants ? Quoi ?!"

Ce qui est bien avec les enfants des couples homo, c'est que ça en fait des personnes plus tolérantes sur les différences... C'est peut être ça en fait qui fait peur... Que les gens d'un coup deviennent plus tolérants ! Quelle horreur des gens tolérants !

Embrassez qui vous voudrez...

Voir les commentaires

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
commentaires

Girl Gift Template by Ipietoon - Hébergé par Overblog